20 ans de la Ferdi. Un éclairage de quelques questions à faire sortir de l’ombre pour réformer le financement international du développement

La Fondation pour les Études et Recherches sur le Développement International (Ferdi), créée en 2003, a célébré son 20e anniversaire le 2 février dernier. Ce fut l’occasion de faire un point d’étape sur les travaux que la fondation consacre à l’architecture internationale du financement du développement à travers la chaire que dirige Philippe Le Houérou. Le colloque organisé à cette fin était centré sur quatre thèmes négligés dans les discussions internationales, avec l’ambition de contribuer à les faire sortir de l’ombre. À cette fin sur chaque thème, en même temps qu’un examen général de la question à débattre, une proposition de la Ferdi a été présentée illustrant les directions dans lesquelles la réflexion devrait s’orienter.


En introduction, une importante allocution de William Roos, Chef du service des relations internationales à la Direction générale du Trésor, a fait le point sur les avancées des négociations depuis le Sommet de Paris pour un Pacte financier mondial et a permis de placer le débat dans une perspective dynamique, donnant espoir pour des avancées futures auxquelles la Ferdi ambitionne de contribuer. Avant l’ouverture des débats, Azali Assoumani, président de l'union des Comores, en sa qualité de président en exercice de l’Union africaine, avait adressé à la Ferdi ses félicitations, ses remerciements et ses vœux pour ses activités dans le domaine du financement international.

Y a-t-il encore une place pour des financements innovants ?

La première session s’est penchée sur cette question, au sens où, depuis un quart de siècle, il est entendu que les financements innovants ont un double objectif de mobilisation de ressources nouvelles et d’impact sur les comportements – une ambiguïté qui a été la source de leur effacement. Après que Jean-Pierre Landau, auteur il y a 20 ans du fameux rapport sur le sujet en ait rappelé les enjeux, une étude récente de la Ferdi présentée par Vianney Dequiedt a illustré la question. Cette étude porte sur la différence d’effet distributif entre pays d’une taxe sur le kérosène et d’une autre plus récemment envisagée sur les transports maritimes : il en résulte clairement que, pour une même mobilisation fiscale, la première est plus défavorable aux pays du Nord et la seconde plus défavorable aux pays du Sud. Un vigoureux témoignage a été apporté par Michel Sidibé, fort de son expérience d’ancien directeur général d’ONUSIDA, qui a bénéficié de financements innovants et a souligné combien ceux-ci avaient été à la fois utiles et insuffisants face aux enjeux actuels.

Quels arbitrages dans l’allocation des ressources concessionnelles entre finalités diverses et entre pays ?

Après que Masood Ahmed, président du Center for global Development, ait introduit la deuxième session en rappelant la nécessité d’une nouvelle métrique pour l’allocation des ressources, le débat s’est engagé dans deux directions. La première a montré les limites du discours conventionnel consistant à dire qu’il n’y a pas d’arbitrage entre la lutte contre la pauvreté et la lutte contre le changement climatique. En effet, même si les interactions entre les deux objectifs sont fortes et nombreuses, il demeure bien, au moins pour partie et aux yeux des pays pauvres, un arbitrage entre les deux. Cet arbitrage, aujourd’hui implicite et opaque, devrait être rendu explicite et transparent par l’identification de l’enveloppe spécifiquement consacrée à l’atténuation du réchauffement climatique, indépendamment du soutien au développement des pays, comme le montrent les travaux de la Ferdi. La seconde direction est naturellement celle dans laquelle la Ferdi milite depuis longtemps, à savoir la reconnaissance de la vulnérabilité comme critère d’allocation des fonds concessionnels destinés au développement des pays, critère évidemment combiné à celui du revenu par tête. Cette position a notamment été soutenue par Abdou Salam Bello, directeur exécutif à la Banque mondiale pour 23 pays africains ; c’est avec lui qu’un événement sur le sujet avait été organisé aux Assemblées annuelles de la Banque et du Fonds à Marrakech. Une part de la session a elle-même été consacrée à la discussion des modalités d’allocation des ressources et les objectifs du Fonds, en cours de création, sur les pertes et dommages. Les participants au panel, qu’ils soient européens ou africains, sont convenus de considérer qu’il devait être aussi bien préventif que curatif.

Financer l’entreprenariat, comment dé-risquer pour avoir de l’impact ?

La question qui reste à faire encore sortir de l’ombre est bien celle de savoir ce que le financement international peut apporter pour le développement de petites et moyennes entreprises sur le continent africain. Cette question, objet de la troisième session, est cruciale, mais se heurte à la contrainte du financement et subit un arbitrage défavorable entre risque et rentabilité de la part des investisseurs. À partir d’un vigoureux message de Fatoumata Ba, fondatrice et présidente exécutive du groupe Django, co-responsable de la chaire « Confiance numérique » de la Ferdi, au cours d’une session animée par Jean-Michel Severino, lui-même directeur de la chaire « Investissement d’impact » de la Ferdi, une discussion s’est engagée sur les façons de réduire le risque pour soutenir massivement l’investissement des PME en Afrique, et notamment dans les filières agricoles et agro-industrielles. L’intervention de Ngueto Yambaye, directeur général du Fagace et ancien ministre du développement au Tchad, a montré le potentiel insuffisamment utilisé des systèmes de garantie tels que ceux portés par l’institution qu’il dirige, cependant que le gouverneur de la Banque centrale de Madagascar, Aivo Andrianarivelo, montrait les possibilités, mais aussi les limites d’un « de-risking » par les banques centrales. Il est aussi apparu clairement qu’un soutien public pour limiter le risque des investissements privés impliquait une évaluation de l’impact social et environnemental de ces investissements, qui doit pouvoir le justifier. Des opinions différentes s’étant exprimées sur la possibilité de justifier ainsi le de-risking, il en est ressorti qu’il s’agissait d’une voie de réflexion importante pour la Ferdi. 

Comment assurer la « redevabilité » des engagements publics ?

La quatrième session, enfin, a examiné à la fois la question des institutions les mieux à même d’assurer « la redevabilité » et la question des critères qu’il y a lieu d’appliquer. Sir Paul Collier avait envoyé un message soulignant combien un bon appareil de suivi et de redevabilité avait manqué dans la crise sahélienne, malgré les recommandations faites naguère en ce sens par la Ferdi et auxquelles il a rendu hommage. S’agissant des institutions qui devraient être en charge d’examiner si les engagements publics internationaux sont bien remplis en matière de financement du développement et si l’orientation des flux est bien conforme aux priorités affichées, il est apparu que plusieurs instances se sentaient responsables en la matière, tout en ayant une légitimité et des capacités inégales pour le faire. Une grande part de la discussion a ainsi porté sur le rôle du Comité d’aide au développement de l’OCDE, sa capacité à s’élargir et à partager son évaluation avec les représentants des pays du Sud. Elle a aussi porté sur l’adéquation des instruments de mesure de ces engagements publics, et plus généralement des comportements des pays du Nord tels qu’ils se traduisent dans la répartition des flux financiers de diverses natures entre les pays et entre les finalités poursuivies. La redevabilité quant aux engagements de flux concessionnels pour le développement économique a ainsi été comparée avec celle qui concerne le financement des biens publics mondiaux, et en particulier l’atténuation du réchauffement climatique. Tertius Zongo, directeur de la chaire « Sahel » de la Ferdi, et Kerfalla Yansane, ancien Ministre de l’économie et des finances de Guinée, ont fait entendre une voix assez critique sur les pratiques actuelles, mais largement ouverte à des réformes qui sont indispensables au rétablissement de la confiance entre le Nord et le Sud. 


Compte tenu du temps limité dans lequel s’inscrivait le colloque, les sujets ne pouvaient être aussi approfondis et conclusifs que beaucoup auraient espéré. Mais, comme je l’ai dit en introduction, il s’agissait essentiellement d’un point d’étape sur des sujets menacés de rester dans l’ombre lors de la réforme du financement international du développement. Les débats se poursuivront sous diverses formes et en divers lieux au cours de l’année qui vient et il en sera naturellement rendu compte sur le site de la Ferdi. 

Ces débats ont, en tout cas, bien marqué la vocation de la Ferdi, comme je l’avais évoqué dans mon discours d’ouverture, lui-même accessible sur le site, et où il est rappelé ce qu’a été l’action de la Ferdi au cours des dix dernières années et quelle a été sa spécificité. Je m’étais permis de le faire en me rapprochant de la réflexion échangée au cours d’un colloque organisé il y a deux mois par la Ferdi sur « Pascal et l’économie du monde ». La phrase de Pascal qui figure au dos de nos documents de travail depuis quinze ans demeure un guide pour les années futures, en particulier pour la réflexion sur l’architecture internationale du financement du développement : « Sur quoi la fondera-t-il, l’économie du monde qu’il veut gouverner ? Sera-ce sur le caprice de chacun ? Quelle confusion ! Sera-ce sur la justice ? Il l’ignore ! ».